La crise Turque, avant gout de la crise occidentale ?

Alors que le monde entier semble plongé dans la spirale infernale de l’inflation, le niveau est tout autre en Turquie ou l’inflation a atteint plus de 80% sur un an selon les organismes officiels. Ce chiffre inquiète les autorités financières du pays qui craignent désormais l’escalade de la crise vers une hyperinflation.

1) Mais que se passe t-il en Turquie ?

Les Turques font face à l’une des pires crises économiques de leur histoire. Non seulement, les prix ont flambé en raison des pénuries post Covid, de la guerre Russie-Ukraine et du contexte géopolitique actuel, mais la politique monétaire du pays semble être à contre-courant des solutions habituelles mises en place pour contrer l’inflation.

Car le président Turque Recep Tayyip Erdogan continue de prêcher la baisse des taux d’intérêts, ce qui est le sens inverse aux actions menées par toutes les autres banques centrales dans le monde. Alors que les Etats Unis viennent d’annoncer à travers le président de leur FED, Jérôme Powell, qu’ils allaient de nouveau augmenter leurs taux directeurs d’emprunts de 0,75 points, la Turquie, elle, fait baisser son taux directeur de 1,5 points et le président Turque argumente pour sa défense que ce sont les Occidentaux qui provoquent l’inflation massive dans son pays et non sa politique monétaire. Erdogan précise également que faire baisser les taux d’intérêts est une manœuvre qui permettra de relancer les emplois et de favoriser la circulation de l’économie. Et il n’a pas tort, excepté le fait que pour arriver à cela, les Turques doivent être capables d’emprunter à partir d’une monnaie fiat compétitive. Ce qui n’est plus le cas à cause de la dévaluation de la livre Turque au fur et à mesure que les acteurs financiers perdent confiance dans celle ci… précisément à cause des actions et propos de Erdogan au niveau des taux directeurs…

Dans ce contexte, l’inflation n’est donc pas seulement causée par l’augmentation des prix des matiéres premières et ressources, elle est également causée par la chute de la livre Turque par rapport au dollar. En 1 an, la valeur de la livre Turque a chuté de 55% par rapport au dollar. Ce qui rappelle la chute de 20% de l’euro par rapport au dollar durant ce même laps de temps. Avec cette chute de leur monnaie fiat, les citoyens Turques ont vu leur pouvoir d’achat divisé par 2. De plus, le commerce Turque a pris un énorme coup dans l’aile car les importations deviennent plus couteuses et les exportations rapportent moins au budget public, ce qui provoque inexorablement une chute de la compétitivité de la Turquie sur la scène commerciale internationale.

Résultat, les classes moyennes sont désormais écrasées en Turquie et le pays semble plonger peu à peu dans une spirale ne pouvant conduire qu’à une hyperinflation et une crise économique sans précédent rappelant tristement les sorts du Liban et du Venezuela.

2) L’inflation Turque à cause des Occidentaux ?

Les propos du président Turque pour argumenter sa défense semble à première vue une stratégie de défense automatique : “c’est pas ma faute, c’est à cause des autres “. Mais qu’en est-il vraiment?

La Turquie fait l’objet de sanctions américaines et européennes depuis quelques années :

  • En 2020, suite à l’achat de systèmes de défense antimissile russes S-400, les Etats-Unis ont mis en place un embargo militaire à l’encontre de la Turquie. En plus de cet embargo, des sanctions ont été prise à l’encontre du conglomérat Defence Industries (SSB) en gelant les avoirs de 4 hauts dirigeants de l’agence ainsi que toutes les licences d’exportation de la SSB. (Source: https://atalayar.com/fr)
  • Suite à l’exploitation des forages gaziers en zone de Chypre par la Turquie, sans l’accord express de cette dernière, la Turquie a enfreint la souveraineté économique d’un pays membre de l’UE. La réponse a été de geler les avoirs des entreprises et des dirigeants Turques liés à cette activité illégale dans la zone de l’UE. (Source: https://www.capital.fr/)

Outre ces sanctions, et malgré le fait que la Turquie fasse partie de l’OTAN, des désaccords profonds ont opposé la Turquie et les Etats-Unis, comme par exemple le soutien des américains aux kurdes lors des combats en Syrie alors que ces mêmes kurdes sont considérés comme des terroristes par la Turquie ou encore l’accueil par les Etats Unis de Fethullah Gulen, l’organisateur du coup d’état Turque en 2016 à l’encontre de Erdogan lui même. Ce qui ne peut que mettre de l’eau dans le gaz entre Erdogan et ses homologues américains, on le comprend.

Cependant, ces sanctions et confrontations, si elles peuvent justifier les rancœurs de Erdogan à l’encontre de l’Occident, sont loin de pouvoir justifier l’état économique catastrophique dans lequel s’enfonce la Turquie.

Sur ce point, il est à noter que la direction économique n’est plus dirigée par une banque centrale en Turquie mais bien par Erdogan lui même, ce qui explique que le président Turque se sente directement visé lors des critiques à l’encontre de la politique monétaire au sein de son pays. Car si la banque centrale Turque existe bel et bien en tant qu’organisme officiel, elle est totalement passée sous le contrôle de l’Etat et plus précisément de Erdogan. Ce dernier n’hésite plus à limoger les présidents de la banque centrale qui ne suivent pas ses directives comme ce fut le cas de 3 gouverneurs remerciés entre 2019 et 2022. Dans ce cas, il est intéressant de noter que lorsqu’une banque centrale passe sous le contrôle d’un gouvernement, il n’est plus question de politique monétaire mais de politique budgétaire.

Si la politique monétaire d’une banque centrale vise le contrôle de l’inflation et un maintien de celle ci à un niveau optimale de 2% pour favoriser la croissance économique d’un pays (selon l’aveu des banques centrales elles mêmes), la politique budgétaire quant à elle favorise uniquement le budget public du pays concerné dans un soucis politique et non plus économique. En clair, la banque centrale passe d’un système décentralisé indépendant à un système centralisé sous la coupe de l’Etat. Ce qui est exactement le cas de la banque centrale de Turquie désormais sous le contrôle de Erdogan.

Et c’est bien cette politique budgétaire qui explique que la banque centrale Turque est la seule au monde à aller à l’encontre des règles standards à appliquer afin de lutter contre l’inflation.

Cependant, si l’on considère les choses dans un ordre plus général, c’est bien la déstabilisation des marchés financiers causés par les sanctions occidentales à l’encontre de la Russie qui précipite la chute de l’économie Turque déjà fragilisée par la crise post Covid et la politique budgétaire de la banque centrale Turque. Car, il faut le rappeler, la guerre Russie Ukraine et les sanctions à l’encontre de la Russie ont provoqué un chaos indescriptible sur les marchés financiers mondiaux. La crainte ultime d’un investisseur étant le manque de visibilité et celle ci étant devenue inexistante dans le contexte actuel, les marchés financiers sont désormais sujet à l’irrationalité et à la panique aux moindres évènements et rumeurs qui n’auraient eu aucun effet en temps normal. De plus, la chute de la livre Turque de 55% par rapport au dollar est accentuée par l’augmentation de la valeur de la monnaie américaine et sur ce point, Erdogan n’a pas tort, les Etats Unis, par la domination de leur dollar sont en train de littéralement écraser la livre Turque dans un jeu de concurrence commerciale.

3) Les solutions Turques pour faire face à la crise que ce soit au niveau de Erdogan ou des particuliers.

Conscient de la crise économique dans son pays, Erdogan a mis en place une série de mesures à l’échelle gouvernementale :

  • Augmentation des salaires de 80% depuis début 2022. (Source: https://fr.businessam.be/)
  • Une économie de plus en plus tournée vers le rouble et non vers le dollar comme le prouve le récent partenariat énergétique solide signé entre la Russie et la Turquie autorisant une exportation de gaz vers la Turquie à condition que cette dernière paye 25% des commandes en rouble. (Source: https://www.latribune.fr)
  • Baisse des taux d’intérêts, ce qui est considéré comme une hérésie par les autres autorités financières dans le monde.
  • Garantie du retour sur investissement du plan d’épargne en livre Turque (en cas de chute de la valeur de la monnaie Turque après la mise en épargne d’un citoyen Turque, le gouvernement prévoit de rembourser la différence sur le ROI initial garanti à ce même citoyen Turque).

A l’échelle des particuliers, ces derniers, afin de contrer l’inflation ont adopté des mesures surprenantes et révélatrices:

  • Achat de cryptomonnaies et notamment de Bitcoin. (Source: https://www.lemonde.fr/economie). L’utilisation des cryptomonnaies en Turquie a été multipliée par 11 en seulement une année et cette fuite en avant dans le Bitcoin est clairement un souhait de mettre à l’abri son capital de l’inflation Turque mais également de la chute de la monnaie fiat. Ce phénomène rappelle beaucoup ce qui s’est passé au Venezuela et au Liban. Plus surprenant encore, c’est aussi ce qui se déroule au Royaume Uni en ce moment.
  • Conversion de la livre Turque en euro ou dollar.
  • Système de troc et achat de produits faits maisons.
  • Ruée massive vers l’achat d’or et de métaux précieux. (Source: https://www.capital.fr/)

4) Le parallèle entre la crise économique Turque et la crise économique française

Ce qui est intéressant de noter dans cette crise économique Turque, c’est la comparaison dans la politique menée par les banques centrales en totale opposition entre celle de l’UE et celle de la Turquie.

Au sein de l’UE, l’inflation est tant bien que mal contenue grâce aux relèves brutales et successives des taux d’intérêts. La Turquie est donc l’exemple de ce qui pourrait arriver au sein de l’hexagone en terme d’inflation si la BCE n’avait pas choisi de hausser ses taux directeurs. Sur le court terme, il semble donc que ce soit la politique de hausse des taux qui soit payante, cependant, rien ne nous garantit que cette politique soit la bonne sur le long terme.

Et avant de critiquer Erdogan, il serait peut être judicieux d’observer ce qu’il va se passer pour l’économie Turque. Car si la hausse des taux directeurs permet de lutter contre l’inflation, elle entraine inévitablement un recul de la production de richesse du pays concerné par cette hausse. Et à terme, si ces taux sont maintenus élevés, cela peut engendrer une récession, c’est à dire un recul visible de l’économie du pays sur 2 trimestres consécutifs. Bien évidemment, cette récession aurait des effets dévastateurs à son tour : augmentation du chômage, faillite des entreprises, chute des marchés boursiers dans une finalité d’augmentation de… l’inflation !!

La boucle serait donc bouclée et les remèdes seraient, sur le long terme, pire que le mal. C’est peut-être ce qu’à en tête Erdogan lorsqu’il martèle que la hausse des taux d’intérêts favorise bien au contraire l’inflation… Sur le long terme en réalité.

La politique de hausse des taux est adaptée dans le cas de crises de courte durée liées à des événements localisés et précis qui impactent à leur tour l’économie mondiale. Mais cette solution n’est plus adaptée lorsque la crise économique s’inscrit sur la durée comme le prouve l’histoire avec la grande dépression de 1929 qui reste la pire crise de l’ère moderne et qui a été solvée non pas par la mise en place de politiques interventionnistes de la part des gouvernements mais bien par l’arrivée de la Seconde Guerre Mondiale qui a remis les compteurs à zéro. Or, dans le contexte actuel en France, en plus de l’inflation générale causée par les diverses pénuries liées à la crise du Covid, nous faisons désormais face à une pénurie énergétique liée à la guerre Russie Ukraine et surtout liée aux conséquences des sanctions prises par l’UE à l’encontre de la Russie. Notre économie déjà fragilisée par une inflation générale présente avant la guerre Russie Ukraine est encore plus malmenée par la hausse record des taux d’intérêts d’un côté et par la crise énergétique de l’autre côté. Et si l’un peut causer une récession sur le long terme, l’autre peut tout simplement mettre le pays à l’arrêt car l’énergie est la base de la pyramide des besoins d’une civilisation. Sans énergie, les entreprises ne peuvent plus produire, les travailleurs ne peuvent plus se déplacer et les citoyens font une croix sur leur confort et donc sur leurs modes de consommation. La crise que nous sommes en train de vivre en France est peut être plus grave encore que la grande Dépression et plus grave encore que celle que vit la Turquie. Car outre leurs problèmes d’inflation, la Turquie ne connait pas de pénuries d’énergie, c’est cela qui est le plus intéressant à noter pour le moment. La Turquie est de façon générale moins en crise que l’UE sur le plan des pénuries et pourtant fait face à une crise économique bien plus grave que celle connue en France. Du moins pour le moment.

Car ce qui peut être intéressant de noter également avec la Turquie c’est que leur crise économique est peut être un avant gout de ce que l’on peut connaître à l’avenir en France et au sein de l’UE. Pour l’instant nous sommes protégés en partie par la puissance de notre monnaie fiat qu’est l’euro mais pour combien de temps? Car, pour rappel, si la livre Turque a chuté de 55% en 1 an par rapport au dollar, l’euro lui a chuté de 20% par rapport au dollar durant le même laps de temps et pour la première fois en 20 ans. Et surtout, même si nous sommes en pleine crise énergétique, nos entreprises commencent à peine à subir les conséquences directes de la crise énergétique. Le bilan de cette crise sera plus parlant dans quelques mois au moment du bilan annuel des entreprises, et il est possible qu’à partir de la une bonne partie des entreprises françaises, déjà fragilisées par l’inflation post-covid et due à la guerre ne résistent pas à l’augmentation de leurs factures d’électricité et mettent la clé sous la porte. Il suffit que 20% des entreprises françaises fassent faillite pour faire reculer le PIB de la France de façon spectaculaire et provoquer une récession choc alimentée dans le même temps par… la hausse des taux d’intérêts !!!

Au niveau de la crise énergétique, la seule solution court terme évidente serait la remise en route de la totalité de la flotte nucléaire en France afin d’assurer l’indépendance énergétique de celle ci. Car pour rappel, la moitié de nos réacteurs nucléaires sont à l’arrêt en ce moment pour des raisons de maintenance ou vétusté. Cependant, même dans le cas ou nous aurions notre indépendance énergétique assurée, il n’est pas garanti que ne nous ne connaitrions pas une inflation énergétique catastrophique comme nos voisins européens car, comme l’a indiqué la présidente de la commission européenne, Ursula Von Der Leyen, la solidarité européenne est primordiale. On peut donc imaginer que l’énergie produite par la France serait redistribuée, en partie du moins, à ses voisins européens les plus en difficulté au détriment des citoyens français.

Conclusion:

La crise économique en Turquie et surtout les solutions mises en place par les citoyens Turques pour protéger leurs capitaux, peuvent donc être des exemples précurseurs de solutions à adopter en cas de crise semblable au sein de l’UE et de la France.

Se préparer à acheter de l’or et de l’argent sous forme physique ou des cryptomonnaies comme le Bitcoin peut être un bon moyen de prévoir un plan B en cas d’hyperinflation naissante en France ou dans le cas d’une chute spectaculaire de l’euro. C’est du moins ce que nous ont montré les Turques ainsi que tous les citoyens de pays en crise comme le Venezuela, le Liban ou encore le Royaume Uni.

Bien sur nous n’en sommes pas encore à ce stade et peut être, espérons le, que nous ne le connaitrons jamais, mais comme le dit le proverbe, mieux vaut prévenir que guérir.

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par Anders Noren.

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