Après une pénurie de gaz, une pénurie de pétrole au sein de l’UE?

L’Union Européenne est en pleine crise énergétique avec la coupure brutale des arrivées de gaz russe dans un contexte de guerre économique totale entre l’occident et la Russie.

Cette guerre économique semble, le 5 décembre, avoir franchi un nouveau cap dans l’escalade, puisque l’Union Européenne ainsi que les membres du G7 (Allemagne, Canada, États-Unis, France, Italie, Japon, Royaume-Uni), plus l’Australie, ont annoncé plafonner les prix du pétrole russe à 60 dollars par barils. Selon les différents dirigeants des pays de l’UE et du G7 ainsi qu’Ursula Von Der Leyen la présidente de la Commission Européenne, cet embargo contre le pétrole russe devrait porter un gros coup à l’économie russe qui compte beaucoup sur ses exportations en pétrole vers l’UE.

En effet, les exportations de pétrole russe vers l’UE représentent 7% du PIB et 104 milliards d’euros par an pour la Russie alors que les exportations de gaz ne représentaient que 25 milliards d’euros par an pour la Russie dans ses exportations vers l’UE. De plus, la moitié des exportations énergétiques de la Russie étaient dédiées à l’UE. L’autre moitié concernait l’Asie et les ex-pays de l’URSS.

Par cet embargo sur le pétrole russe, l’occident serait donc gagnant à condition que la Russie se plie à ses exigences, car d’une part il affaiblirait la Russie sur un plan économique et enverrait un message cinglant au reste du monde sur cette victoire économique, et d’une autre part paierait un pétrole russe moins cher tout en stabilisant artificiellement les prix du pétrole russe et donc du pétrole mondial. Sans compter le fait que cet embargo deviendrait en quelque sorte une arme économique sous la forme d’une épée de Damoclès contre la Russie. Car rien n’empêcherait l’occident de modifier le plafond à la hausse mais surtout à la baisse pour faire chanter la Russie ou l’affaiblir dans un avenir proche.

Si elle se plie aux exigence de l’occident et à son plafond au niveau des prix du pétrole, la Russie va donc voir ses bénéfices établis sur les ventes de pétrole légèrement chuter au niveau mondial car le plafond est fixé à 60 dollars alors qu’un baril de pétrole russe coute entre 65 et 70 dollars en ce moment.

1) L’UE a interdit l’achat, l’importation ou le transfert de pétrole brut et de certains produits pétroliers venant de la Russie

https://www.consilium.europa.eu

Depuis le 5 décembre 2022, tout achat de pétrole brut au sein de l’UE est interdit comme l’a décidé le Conseil européen en juin 2022. Ainsi, depuis quelques jours, l’UE s’est amputée de prés de 25% de ses importations totales de pétroles puisque c’était les chiffres correspondant aux importations de pétrole russe.

Seuls certains pays comme la Croatie et la Bulgarie ont obtenu une dérogation et peuvent continuer à acheter du pétrole brut russe en raison de leur dépendance spécifique aux approvisionnements russes.

De plus, un autre embargo est prévu le 5 février 2023, cette fois à l’encontre des produits pétroliers russes. Pour rappel, les produits pétroliers sont des produits pétroliers raffinés comme l’essence, le diesel ou le fioul par exemple. Ainsi, à partir de février 2023, l’UE européenne se privera d’une bonne part de produits pétroliers raffinés en plus des 25% de pétroles brut. Pour être précis, les exportations de produits pétroliers raffinés russes représentaient avant l’embargo 75 Mt (milliers de tonnes) par an vers l’UE. A titre indicatif, c’est à peu prés la consommation de la France en terme de produits pétroliers raffinés sur une année (chiffres de 2017).

https://fr.wikipedia.org

https://www.ecologie.gouv.fr/chaine-petroliere

Ainsi, en plus d’une pénurie de gaz, il se pourrait bien que l’UE soit confrontée à une pénurie de pétrole à court terme. Car peut être que des alternatives seront trouvées sur le long terme avec d’autres exportateurs de pétroles (les Etats Unis notamment qui sont les leaders dans le domaine). Cependant, avec la récente baisse de production de 2 millions de barils de pétroles par jour annoncée par l’OPEP+, il ne sera pas aisée de remplacer le pétrole russe du jour au lendemain.

2) Et si la Russie n’acceptait pas ce plafond ?

L’embargo a donc deux trames :

  • L’arrêt de 90% des importations de pétrole de la Russie au sein de l’UE. Les 10% restants sont des importations de pays comme la Croatie et la Bulgarie qui sont trop dépendants du pétrole russe via les oléoducs.
  • Le plafonnement à 60 dollars des prix d’un baril de pétrole russe de façon à limiter les recettes de la Russie sur son pétrole et impacter le commerce énergétique globale de la Russie, même avec des pays tiers comme l’Inde et la Chine qui sont devenus de gros importateurs de pétrole russe.

Concernant l’arrêt à 90% des importations de pétrole russe, c’est un choix localisé et volontaire de l’UE qui aura majoritairement des conséquences pour l’UE. Car avec une amputation de 25% de ses importations de pétrole, cette ressource va manquer au sein de l’UE et de la même manière que le gaz et l’électricité les prix risquent d’exploser en Europe.

Et c’est également pour cette raison, en partie, que l’occident a également décidé de plafonner les prix du pétrole russe à 60 dollars pour limiter la hausse des prix du pétrole sur le marché mondial et donc limiter l’inflation énergétique que risque de provoquer l’embargo européen.

Malheureusement pour l’Europe et l’occident il y a un hic, et un gros. Car la Russie a justement déclarée qu’elle ne se soumettrait pas à l’embargo de l’occident. Elle va même plus loin, car Vladimir Poutine a déclaré peu après l’annonce de l’embargo de l’UE que la Russie ne livrerait plus de pétrole, de gaz et de combustible solide russe à quiconque adopterait cette stratégie de plafonnement à l’encontre de la Russie. Et le président russe a ajouté que la Russie pourrait réduire sa production si nécessaire.

Ainsi, si la Russie ne bluffe pas et applique clairement ses propos (ce qui est plus que probable lorsque l’on analyse le ratio avertissements/actions de Vladimir Poutine dans le passé), les conséquences de l’embargo risquent d’échapper totalement à l’occident et surtout à l’Union Européenne. Car certes, la Russie se verra privée sur le court terme de la moitié de ses exportations de pétrole mais l’UE, en plus de sa pénurie de gaz actuelle, devra faire face à des difficultés au niveau des approvisionnements en pétrole brut, pétrole raffiné et même en combustibles solides qui représentent une alternative indispensable pour des pays comme l’Allemagne par exemple. Ainsi, les prix du pétrole sur le marché mondial devraient échapper à tout contrôle en raison de cette déstabilisation. De plus, à ce problème de prix du pétrole faisant planer le spectre d’un nouveau choc pétrolier se rajoute les pertes colossales des entreprises occidentales liées au trafic maritime russe (assurances, stockage, maritimes, frets, etc…).

3) Les conséquences sur la France ?

Pour rappel, la France ne dépend que très peu des importations énergétiques de la Russie (10% à peine au total avec 17 % de gaz russe, 9 % de pétrole russe et 30 % de charbon russe).

Pourtant, malgré la faible dépendance au gaz russe (17%), la France fait face à la même montée des prix de l’électricité et du gaz que ses voisins européens. Les entreprises françaises ont vu leurs factures d’électricité multipliées par 5 ou 10 en quelques mois seulement.

Cette augmentation, malgré la faible dépendance énergétique, s’explique par la solidarité européenne principalement. La France étant étroitement liée au commerce européen voit ses importations se corréler aux prix du marché européen. (s’ajoute à cela les pannes de réacteurs nucléaires du moment).

Dans ce contexte, nous pouvons imaginer le même scénario en cas d’augmentation des prix du pétrole sur le marché européen malgré notre faible dépendance en pétrole russe (9%). Il ne serait donc pas étonnant que si les prix explosent de nouveau suite à l’embargo, la France encaisse cette hausse au même titre que ses voisins européens beaucoup plus dépendants du pétrole russe.

Et je ne parle même pas des conséquences du prochain embargo qui aura lieu le 5 février 2023 à l’encontre des produits pétroliers raffinés russes cette fois, car cela signifie que la France à défaut de trouver d’autres importateurs de produits pétroliers raffinés devra trouver plus de pétrole brut et mettre en place plus de moyens pour raffiner le brut afin d’obtenir la même quantité de produits pétroliers raffinés qu’auparavant…

De même pour les combustibles solides (30% de nos importations de charbon viennent de la Russie).

Conclusion:

Dans ce contexte, il serait étonnant de ne pas assister à une nouvelle déstabilisation des prix du pétrole à l’échelle mondiale. Car la Russie menace tout simplement de moins produire de pétrole, ce qui serait une catastrophe car ce scénario de baisse de l’offre par rapport à la demande ne pourrait que conduire à une augmentation des prix du pétrole et donc à un nouveau choc pétrolier digne de 1973, voir plus important encore. Car en 1973, il n’y avait ni guerres majeures en Europe, ni inflation des matiéres premières, ni crise immobilière ni tensions Orient/Occident.

Et pour nous les français, cela se traduirait par une explosion (encore) des prix du pétrole à la pompe qui, sans boucliers tarifaires du gouvernement, pourraient conduire à des prix dépassant les 2 euros au litre de nouveau.

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par Anders Noren.

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